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Louis Willems

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Il arrive qu’Internet montre ses limites et celles du savoir qui y est disponible. Par exemple, mon vieil ami Google est bien en peine de me dire rapidement qui était Louis Willems, absent de Wikipedia et eclipsé par un homologue journaliste gastronomique.

Selon les mots de Pierre Darmon, auteur de « l’homme et les microbes », « Louis Willems est le Jenner du pauvre ». Armé du billet précédent entre autres lectures, vous pressentez donc un rapport entre Willems et la vaccination. Malin! En 1845, Louis Willems est étudiant en médecine à Louvain, où désormais une rue porte son nom. Âgé de 23 ans, il commence une recherche sur l’immunisation des bovins contre la péripneumonie (ou pleuropneumonie), une maladie due à la bactérie Mycoplasma mycoides mycoides (qui sera isolé par Roux et Nocard, dont j’espère reparler) qui provoque chez les bovins une infection pulmonaire souvent fatale et qui a une fâcheuse tendance à ruiner les éleveurs. En un sens, Louis Willems a de la chance car son père est éleveur et dispose de nombreuses têtes de bétail, donc d’un terrain de jeux d’expérience. Mr Willems senior a moins de chance, car sans jamais lui avouer, son fils décime son cheptel à force d’expériences menées au hasard. S’inspirant probablement de Jenner, il inocule des extraits de poumon infecté à des bovins sains, avec une méthode pour le moins curieuse: il essaie tous les endroits possibles dans l’anatomie de la vache! Ce n’est qu’à la fin de ses études de médecine qu’il trouve la solution de la même manière qu’il l’avait cherchée: aléatoirement. Le dernier endroit qu’il n’avait pas encore testé (au frais du bétail) s’avère être le seul où l’inoculation permet d’immuniser l’animal, et cet endroit est l’extrémité de la queue. L’inoculation à la base ou au milieu de la queue tuerait l’infortuné bovidé, mais personne n’a encore démontré pourquoi (à titre personnel, laissez-moi parier sur une différence de vascularisation)! Puisque les vaccins sont souvent sur la sellette, examinons l’efficacité de sa méthode: il inocule 108 animaux, dont un meurt (septicémie? inoculation au deux tiers?). Tous ces animaux survivent à la vague de maladie l’année suivante, alors que 17 animaux sur les 50 non inoculés trépassent. Le 22 Mars 1852, Willems communique sa méthode au ministère de l’Intérieur, Charles Rogier, dans un rapport de 33 pages. Par crainte de s’attirer les foudres de son père qu’il a ruiné, il ne demande d’indemnisation que pour trois animaux! Cette pratique s’étend jusqu’en Afrique du Sud (et est effectivement citée dans les Mines du Roi Salomon, si ma mémoire est bonne), et pourrait représenter le deuxième vaccin jamais inventé après Jenner et avant Pasteur, ou selon les sensibilités, une immunisation de même nature que la variolisation (cf billet précédent).

Quelles leçons tirer de cette aventure scientifique? Faut-il moquer Willems pour sa lubie? Respecter ce qui fut tout de même une découverte? L’attribuer à la Fortune? Louer sa façon -injustifiée- de tout essayer, car elle seule aurait pu aboutir à ce résultat?  Il est vrai que la méthode expérimentale de Willems n’est pas des plus rationnelles, et qu’elle contraste avec la démarche sans faille de Pasteur, qui plus est épaulée d’une merveilleuse intuition. En revanche, Willems fit preuve de deux autres qualités indispensables au chercheur, même si elles se manifestèrent à l’état brut: la curiosité et la persévérance. Sans ces qualités, la plus miraculeuse des découvertes reste ignorée, et Flemming aurait jeté la boîte sur laquelle ses bactéries étaient mortes à cause de la pénicilline… Puisqu’il en est question, j’ajoute que la curiosité semble faire défaut à la plupart des chercheurs modernes, qui n’expriment aucun goût pour le braconnage intellectuel hors de leur domaine.


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