Quantcast
Channel: Bactérioblog » histoire
Viewing all articles
Browse latest Browse all 10

Le premier vaccin

$
0
0

Depuis la seconde moitié du XXe siècle, l’humanité souffre beaucoup moins (mais encore trop) des maladies infectieuses grâce à trois innovations majeures: l’hygiène, les antibiotiques et les vaccins, dont il est question dans ce billet.

Au début du XVIIe siècle, la variole (ou petite vérole) tue environ un enfant sur dix en Europe, en défigure bien plus. Donc, pas d’illustrations. Elle aurait largement aidé les conquistadors en décimant les amerindiens deux cent kilomètres au-devant d’eux, une sorte de mise en évidence de la coévolution entre une population humaine et ses virus. En Angleterre, pour prévenir cette maladie,  une pratique ayant cours en Turquie (et en Chine depuis le XIe siècle) est employée à partir de 1721: il s’agit d’inoculer dans le bras d’un enfant un peu de pus variolique prélevé sur un malade. L’enfant développe alors une forme bénigne de variole, la « petite vérole artificielle », et sera par la suite immunisé contre la maladie. Cette méthode conquiert de nombreux partisans, mais il s’avère qu’un enfant inoculé sur 50 à 250 est infecté par une forme virulente de variole. Le dilemme des parents et des médecins se pose en ces termes: faut-il courir un risque immédiat et modéré ou un risque plus important, mais plus lointain et moins certain? Ce dilemme est après tout très moderne, si l’on considère les risques associés à la vaccination contre l’hépatite B, réels mais faibles, ou les nombreux fantasmes sur les vaccins en général.

Edward Jenner est un médecin du Glowcester qui pratique la « variolisation », mais remarque que les garçons vachers (oui, les cow boys) qu’il soigne sont réfractaires à la petite vérole artificielle. Ce fait rejoint la croyance populaire selon laquelle les vachers seraient immunisés contre la maladie. En regardant de plus près, il observe sur leurs mains des cicatrices dues à la vaccine, la petite vérole bovine ou cow-pox, sans gravité chez l’homme. Jenner y voit un lien de cause à effet: en 1796, il inocule au jeune James Phips, 7 ans, un peu de pus tiré de la main d’une fermière infectée par la cow-pox. Trois semaines après, il lui inocule du pus de variole humaine. James Phips ne développe pas de petite vérole artificielle, il est immunisé. Après ce succès, la « vaccination » gagne rapidement l’Europe puis le monde; grâce à elle, la variole peut être déclarée éradiquée par l’OMS en 1980, moins deux souches conservées aux USA et en Russie. Petit bémol tout de même: à ses débuts, la vaccination consistait en une inoculation de pus, soit une vraie soupe de microbes; l’importance de l’asepsie et l’existence des germes ne seront découvertes que plus tard. Il est alors courant de provoquer des septicémies ou d’autres infections par vaccination, et même en une occasion de transmettre la syphilis, maladie notoirement vénérienne… à tout un couvent.

De cette histoire, on peut retenir la chance de Jenner: le délai entre la vaccination et sa mise à l’épreuve était heureusement suffisant, sans quoi il aurait abandonné cette méthode; il disposait d’une maladie modèle, la variole, pour laquelle on connaissait déjà une forme atténuée, ce qui a permis de ne pas risquer la vie de son jeune cobaye; enfin, il existait une immunité croisée entre une forme de maladie bénigne, donc inoculable, et la « vraie » variole. Cependant, à une époque où le système immunitaire n’était pas concevable, il faut rendre hommage  l’ingéniosité et à la méthode de Jenner. Ce n’est qu’au XXe siècle que l’on comprendra comment les vaccins fonctionnent. En attendant, la chance de Jenner ne pouvant se répéter indéfiniment, le grand défi des premiers microbiologistes modernes sera de trouver des vaccins de laboratoire contre les maladies infectieuses pour lesquelles il n’existe pas de forme naturellement atténuée. Nous verrons avec Pasteur comment la chance est également intervenue, mais d’une manière différente.


Viewing all articles
Browse latest Browse all 10

Trending Articles